Un combat quotidien pour les survivants d’actes criminels

Marta Rzepkowska, qui a pris un congé sans... (Le Soleil, Jean-Marie Villeneuve)

 (Québec) Dans le cadre de la Semaine des victimes et survivants d’actes criminels qui se tient du 29 mai au 4 juin, les organismes l’AFPAD, Deuil-Jeunesse et VASAM ont décidé d’unir leurs voix. Leur objectif : mieux informer et sensibiliser la population quant à la réalité vécue par les familles affectées par un homicide ou la disparition d’un proche ainsi que les conséquences sur les hommes qui ont été victimes de sévices sexuels dans leur enfance. Deux familles ont accepté de raconter leur triste histoire au Soleil.

«Pour se venger, il a décidé de tuer mon bébé»

5 juillet 2015. La vie de Marta Rzepkowska s’effondre alors que son mari lui enlève pour toujours son petit Adam, 10 mois.

Après plus de 20 ans d’union, Mme Rzepkowska avait décidé de quitter son mari. Elle souhaitait rencontrer un avocat pour entamer les procédures de divorce.

La journée du drame débute normalement. «Jamais je ne l’aurais pensé capable de faire ça. C’était un bon père. Il s’occupait très bien des enfants», raconte au Soleil avec beaucoup d’émotion la mère en deuil. «C’est difficile à raconter…»

Vers 15h, elle attend à la maison son conjoint et son enfant afin de nourrir ce dernier. Les deux hommes étaient sortis pour une partie de la journée.

19h, toujours pas de nouvelles. La mère, inquiète, fait plusieurs appels, chez des amis, dans la famille de son conjoint, mais en vain. Elle décide alors de contacter les policiers qui se déplacent à la demeure familiale. Quelques minutes plus tard, ils découvrent le père, Rafal Zembowicz, et l’enfant dans le cabanon.

«Pour se venger, il a décidé de tuer mon bébé et il s’est suicidé après, indique Mme Rzepkowska. Nous avons trois autres enfants. La première, ce n’était pas sa fille, mais les trois autres, oui», poursuit-elle.

Combat quotidien

Depuis le drame, chaque jour a été un combat. Elle ne le cache pas, elle a eu des pensées suicidaires. «J’ai eu le goût de mourir plusieurs fois, mais j’ai mes autres enfants. C’est ce qui m’a permis de continuer. Je ne peux pas abandonner», dit la femme d’origine polonaise. Elle est installée dans la région de Montréal, depuis près de 25 ans.

«C’est extrêmement difficile vivre avec ça. Le stress post-traumatique, avec les enfants. On est tous en mode survie présentement, note-t-elle. Lorsque je vois des enfants de l’âge de mon bébé, il faut que je quitte l’endroit. Cela me touche énormément. Pour mes autres enfants [17, 19, et 24 ans], ils sont suivis en psychiatrie, surtout ma plus jeune.»

Mme Rzepkowska est inquiète pour l’avenir puisqu’elle avait droit, ainsi que les membres de sa famille, à 30 séances avec un psychologue payé par le programme d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), qui relève de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Elle aimerait continuer à avoir un support.

Statut de victime

«Cela s’achève, puisqu’on n’est pas reconnu comme des victimes, mais seulement comme des proches des victimes. On a fait la demande pour que ma fille de 17 ans soit considérée comme une victime, car elle a été hospitalisée plusieurs fois en psychiatrie», affirme la mère, qui a tout de même pu pousser un petit soupir de soulagement samedi, alors que la demeure familiale a finalement été vendue.

Depuis l’incident, elle est retournée «à quelques reprises» à la maison pour chercher ses biens. Et elle n’a visité qu’une seule fois le cabanon… avant de le faire démolir.

«Les enfants ne voulaient plus vivre là et moi non plus, souligne-t-elle. Pour le cabanon, je voulais rentrer pour voir. Cela a été très difficile. Il m’a enlevé mon bébé. J’ai perdu un enfant qui était en santé. Je l’allaitais encore. Et pour mes filles, c’était comme leur bébé aussi», ajoute-t-elle, la voix qui tremble.

L’argent a également été un problème pour la femme qui a dû retourner au travail, «trop tôt», selon elle. «J’avais une aide du fédéral de 35 semaines pour les victimes d’actes criminels. Il a fallu que je retourne travailler par la suite, car j’avais un congé sans solde pour mon bébé. Je n’ai pas eu droit à l’assurance salaire. Pour moi, 35 semaines, c’était trop court.»

Pour évacuer son stress quotidien, Mme Rzepkowska fait beaucoup d’activités sportives. C’est ce qu’elle conseille aux personnes victimes d’une situation similaire. «Cela me permet de ne pas toujours penser à ce qui est arrivé. Sinon la scène revient continuellement. Lorsque je suis en action, je m’y attarde moins.»

L’Association des familles de personnes assassinées ou disparues (l’AFPAD), Deuil-Jeunesse et Victimes d’agressions sexuelles au masculin (VASAM) publieront au cours des prochains jours plusieurs capsules «Saviez-vous que?» afin d’informer et sensibiliser la population. Pour consulter les capsules : www.facebook.com/afpad.montreal/?fref=nf

«On est laissé à soi-même»

Élaine Bégin n’a jamais été en mesure de faire le deuil complet de son frère. «Il a son épitaphe au cimetière, mais il n’est pas vraiment là.»

Le 30 octobre 1995, l’homme de 35 ans a disparu de son domicile de Saint-Prosper de Beauce. Plusieurs battues ont été organisées par la suite par la famille. Une enquête a été ouverte par les policiers.

«Les recherches à l’époque étaient peut-être un peu moins bien organisées que maintenant, dit Mme Bégin. J’étais très proche de mon frère. Il n’y a pas de grandes étapes prescrites dans une situation comme ça. On est laissé à soi-même et la vie doit continuer tout de suite après, ce qui est d’ailleurs très étrange», poursuit-elle. Elle avait 25 ans lors de l’incident.

Trois jours après la disparition de son frère, Mme Bégin était de retour au bureau. «C’était difficile!» se remémore-t-elle, ne cachant pas qu’elle aurait aimé avoir plus de temps. «Il faut prendre soin de soi. En entrevue, le père de Cédrika Provencher a déjà dit : “Oui, j’ai le droit de rire, moi aussi!” Et c’est vrai, je pense que la vie continue.»

Sérénité

Aujourd’hui, Mme Bégin ne croit plus qu’elle reverra son frère. Elle croit qu’il a été victime d’un homicide. Son «espoir» est de pouvoir un jour le ramener au cimetière avec ses parents. «Il y a une possibilité d’être serein que je n’ai pas encore trouvée dans le deuil à faire de mon frère», note-t-elle, donnant comme conseil aux proches des victimes d’une situation du genre d’utiliser les ressources qui sont mises à leur disposition. «Les ressources existent. Il faut peut-être juste savoir comment les trouver.»

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :